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Les corridors recommencés (extrait)

 

Si c'étaient mes dernières lignes

 

Si je mourrais aujourd'hui, je ne serais l'auteur oublié que d'un seul livre! Mes autres écrits, jaunissant dans l'armoire normande, partiraient à la poubelle parmi autres papiers lorsque ma propriétaire efficace déblaierait les lieux. Alors, inévitablement, j'écris chaque jour un peu plus comme si c'étaient mes dernières lignes. (...)

Si c'étaient mes dernières lignes, j'écrirais qu'à trente ans, je connais à peine la vie pour l'avoir toujours vécue travestie en poésie. J'écrirais aussi que la solitude m'a toujours fait mal aux pieds à cause des bottes trop petites dont m'a chaussé la vie afin d'arpenter la salle des rêves perdus, moi qui voulais marcher jusqu'au soleil.

Si c'étaient mes dernières lignes, j'écrirais le dédale des corridors miroitants où je me suis mille fois cogné en poursuivant sans cesse la flèche que j'aurais dû chevaucher.

Si c'étaient mes dernières lignes, je récrirais les livres que les marchands de papier n'ont pas daigné publier parce que...

Si c'étaient mes dernières lignes, j'écrirais à tous ceux qui m'ont connu, croisé, détesté, aimé, trahi, méprisé, qu'aucun d'entre eux n'a jamais fait ma connaissance : celui ou celle qui oserait interpréter ma pensée a déjà son nom gravé sur la stèle des salauds morts dans mon coeur.

Si c'étaient mes dernières lignes, je les jouerais sur ma guitare devant un public imaginé à qui je redonnerais des pulsions. Je peindrais ce musicien pâle qui me ressemble. Il serre dans ses bras une guitare en feu. Ses doigts funambulent sur les cordes comme s'ils voulaient échapper aux flammes.

Si c'étaient mes dernières lignes, je m'en soûlerais jusqu'à plus soif parce que l'ivresse est le luxe de l'espèce humaine.

Si c'étaient mes dernières lignes, je dirais tous mes frères de fortune et d'infortune. Je dirais tous nos rêves échoués sur les récifs de l'impossible.

Si c'étaient mes dernières lignes, je chanterais encore la beauté et surtout le charme, sans sexe ni couleur, où je n'ai eu de cesse de faire escale.

Si c'étaient mes dernières lignes, je louerais les femmes, ces puits sans fond où j'aime quêter l'eau. Pourtant, je n'ai jamais voulu rouiller comme un sceau épuisé et reflété, accroché à leur offrande.

Si c'étaient mes dernières lignes, je ferais claquer les clameurs de Manuel de Falla comme l'oriflamme que traînent au-dessus de leur tête tous les Don Quijote de la tierra. Puis je ferais pisser le sexe de Lorca sur la tête de toutes les connes qui le lisent en français et trouvent ça beau entre deux tasses de thé with petits fours QUANT IL EST MORT troué par les balles intolérantes de la bonne conscience que ces connes incarnent sans le savoir. La culture est parfois abjecte.

Si c'étaient mes dernières lignes, je tendrais encore mes bras à tous les gens qui souffrent, aux malades, aux putains, aux assassins, aux pédés, aux punks, aux artistes, aux défoncés multiformes, aux émigrés, et enfin, et surtout, aux cons qui, en ce bas-monde, sont peut-être les plus à plaindre.

Si c'étaient mes dernières lignes, je prendrais le temps d'aimer mes parents, ma famille, ce port d'attache où mon bateau fou a trop peu mouillé.

Si c'étaient mes dernières lignes, j'enguirlanderais les arbres avec. Puis je les enlèverais car l'arbre n'a pas besoin de parures de pacotille : il est beau. (...)

Si c'étaient mes dernières lignes, je récrirais ces dernières lignes impudiques parce qu'en ce moment, j'ai fait tomber un peu le masque.

Si c'étaient mes dernières lignes, j'en ferais un flambeau afin qu'une fois au moins, nous nous regardions en face et nous nous aimions.

Si c'étaient mes dernières lignes, après les avoir offertes, je partirais, le regard empli de vous. Je partirais, sans peur et sans reproche, vers celle qui fut toujours à mes côtés.

Si c'étaient mes dernières lignes...

(1985)

Les corridors recommencés

Autres textes :

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