CRIS SANS THEME
Présentation (2000) Avant-propos (1993)
Textes : Les moules
marinières Amimo
Chansons : Récital Les chansons clandestines
Les corridors
recommencés (extrait)
Si c'étaient
mes dernières lignes
Si je mourrais aujourd'hui,
je ne serais l'auteur oublié que d'un seul livre! Mes autres
écrits, jaunissant dans l'armoire normande, partiraient
à la poubelle parmi autres papiers lorsque ma propriétaire
efficace déblaierait les lieux. Alors, inévitablement,
j'écris chaque jour un peu plus comme si c'étaient
mes dernières lignes. (...)
Si c'étaient
mes dernières lignes, j'écrirais qu'à trente
ans, je connais à peine la vie pour l'avoir toujours vécue
travestie en poésie. J'écrirais aussi que la solitude
m'a toujours fait mal aux pieds à cause des bottes trop
petites dont m'a chaussé la vie afin d'arpenter la salle
des rêves perdus, moi qui voulais marcher jusqu'au soleil.
Si c'étaient
mes dernières lignes, j'écrirais le dédale
des corridors miroitants où je me suis mille fois cogné
en poursuivant sans cesse la flèche que j'aurais dû
chevaucher.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je récrirais les livres que
les marchands de papier n'ont pas daigné publier parce
que...
Si c'étaient
mes dernières lignes, j'écrirais à tous ceux
qui m'ont connu, croisé, détesté, aimé,
trahi, méprisé, qu'aucun d'entre eux n'a jamais
fait ma connaissance : celui ou celle qui oserait interpréter
ma pensée a déjà son nom gravé sur
la stèle des salauds morts dans mon coeur.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je les jouerais sur ma guitare devant
un public imaginé à qui je redonnerais des pulsions.
Je peindrais ce musicien pâle qui me ressemble. Il serre
dans ses bras une guitare en feu. Ses doigts funambulent sur les
cordes comme s'ils voulaient échapper aux flammes.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je m'en soûlerais jusqu'à
plus soif parce que l'ivresse est le luxe de l'espèce humaine.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je dirais tous mes frères
de fortune et d'infortune. Je dirais tous nos rêves échoués
sur les récifs de l'impossible.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je chanterais encore la beauté
et surtout le charme, sans sexe ni couleur, où je n'ai
eu de cesse de faire escale.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je louerais les femmes, ces puits
sans fond où j'aime quêter l'eau. Pourtant, je n'ai
jamais voulu rouiller comme un sceau épuisé et reflété,
accroché à leur offrande.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je ferais claquer les clameurs de
Manuel de Falla comme l'oriflamme que traînent au-dessus
de leur tête tous les Don Quijote de la tierra. Puis je
ferais pisser le sexe de Lorca sur la tête de toutes les
connes qui le lisent en français et trouvent ça
beau entre deux tasses de thé with petits fours QUANT IL
EST MORT troué par les balles intolérantes de la
bonne conscience que ces connes incarnent sans le savoir. La culture
est parfois abjecte.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je tendrais encore mes bras à
tous les gens qui souffrent, aux malades, aux putains, aux assassins,
aux pédés, aux punks, aux artistes, aux défoncés
multiformes, aux émigrés, et enfin, et surtout,
aux cons qui, en ce bas-monde, sont peut-être les plus à
plaindre.
Si c'étaient
mes dernières lignes, je prendrais le temps d'aimer mes
parents, ma famille, ce port d'attache où mon bateau fou
a trop peu mouillé.
Si c'étaient
mes dernières lignes, j'enguirlanderais les arbres avec.
Puis je les enlèverais car l'arbre n'a pas besoin de parures
de pacotille : il est beau. (...)
Si c'étaient
mes dernières lignes, je récrirais ces dernières
lignes impudiques parce qu'en ce moment, j'ai fait tomber un peu
le masque.
Si c'étaient
mes dernières lignes, j'en ferais un flambeau afin qu'une
fois au moins, nous nous regardions en face et nous nous aimions.
Si c'étaient
mes dernières lignes, après les avoir offertes,
je partirais, le regard empli de vous. Je partirais, sans peur
et sans reproche, vers celle qui fut toujours à mes côtés.
Si c'étaient
mes dernières lignes...
(1985)
Les corridors recommencés
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