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Septembre 1943. J'arrive le soir à Saint-Valéry-en-Caux.
Il n'y a pas d'hôtel, il n'y a rien pour manger. Le chef
de gare me garde chez lui. Je lui raconte un peu ma vie, que j'avais
été prisonnier de guerre, que je n'aimais pas les
Allemands, qu'il y avait des groupes de résistants et que
je trouvais ça bien, qu'il fallait absolument se débarrasser
des Allemands par tous les moyens... Lui aussi me fait quelques
confidences. Son fils est là. Il avait été
dans un maquis F.T.P. en Corrèze d'où il s'était
sauvé. Il trouvait que c'était trop politique, trop
louche, qu'il en savait trop. Je raconte au chef de gare la mission
dont m'a investi le chef d'arrondissement. Il s'en montre très
satisfait. Il me trouve une chambre chez une vieille dame et où
logeaient des jeunes, requis dans le cadre du S.T.O. (Service
du Travail Obligatoire), et qui travaillaient à la défense
côtière de Saint-Valéry-en-Caux et de la région
(pour l'organisation T.O.D.T.).
Je gagne la confiance des jeunes et je leur dis ce que
je suis venu faire afin qu'ils me donnent des renseignements sur
leurs activités. Le fils du chef de gare, qui est bien
avec les gendarmes, m'obtient deux cartes d'état-major.
Je réussis, avec tous les renseignements obtenus, à
dresser, sur une des cartes dérobées, le plan des
défenses allemandes de Saint-Valéry et de la région.
Alors que je vais livrer ma carte à Rouen, je croise
mon chef F.T.P. qui me reproche de ne plus travailler pour lui.
Je lui dis que pour l'instant, je fais du renseignement et que
je ne peux pas tout faire en même temps. D'ailleurs, ne
suis-je pas en train d'aller faire une livraison ? Très
intéressé par ma carte d'état-major, il me
demande de lui en faire une pour lui. Je refuse en lui expliquant
que c'est un travail très fastidieux. Puis je vais porter
la précieuse carte à mon chef d'arrondissement qui
la fera passer en Grande-Bretagne. À la gare, un de mes
chefs, Bauerer, reçoit la Gestapo qui demande après
lui. Il flaire le vent et il leur répond qu'il va les conduire
à son bureau. Il conduit les deux Allemands dans un bureau
vide et leur dit d'attendre, qu'il va le chercher. Les deux Allemands
s'assoient sans savoir qu'ils avaient devant eux l'homme qu'ils
étaient venus chercher et qui se sauve...
Bauerer me rend visite à Saint-Valéry-en-Caux début décembre 1943. Il me dit venir voir le travail que je fais suite à ma carte d'état-major. Il me demande de compter tous mes frais mais je refuse. Je lui montre un peu Saint-Valéry. Il ne peut toutefois guère se rendre compte de mon travail car j'opérais très discrètement et cela serait trop risqué de tout lui montrer ! Ma chambre chez la logeuse a deux fenêtres : une grande et une petite. La grande donne sur le parc et la petite sur la cour. J'avais déjà échafaudé un scénario de fuite par cette petite fenêtre qui, à l'aide de quelques acrobaties, me garantissait la fuite dans l'hypothèse d'une arrestation surprise. Pourtant, ce scénario d'évasion en catastrophe ne va pas me servir...