Prélude
Allegretto
- Je suis un passant souriant… ma seule manière pour affronter les regards criards. Ma bouche est toujours fleurie des plus beaux mots et des plus belles phrases pour les gens inconnus qui balisent mon errance. Un beau parleur, eût-on dit en d'autres temps et lieu… Un haut-parleur serait plus juste. Un diseur du soir, un déclameur de foule, un tiradeur sénégalais, un soliloqueur de lion, un rhéteur cadavérique, un bonimenteur poker, un rappeur au ventre qui n'a plus rien à rapper…
Adieu navets Maria, carottes cairotes et truffes
vieillottes…
Je chou rouge, vert et jaune.
Rappera bien celui qui rappera le dernier
Tango, chocolat noir, la blanche !
Adieu coco noix de muscade : Alexandra dit blanc,
noir, rose…
Et j'ai niqué ton père, ta mère,
la bonne, tes frères et tes sœurs
C'était un vrai bonheur…
"J'ai rappé, niqué tout ce que je pouvais.
Et quand tout fut rappé, niqué, je suis parti ailleurs,
au hasard des chemins de traverse préférés
aux nationales ensanglantées. J'aime que la poussière
habille mes pieds et que la glèbe colle à mes talons…
Je vais je viens. Je viens je vais. J'arrive et je pars. Je pars
toujours. Et je passe, souriant. Ma seule fortune est le petit
baluchon de mes souvenirs qui bringuebale au bout de mon bâton,
telle l'oriflamme invisible de mon erratique destinée.
"Mais ce petit baluchon-là, je me garderai
bien de l'ouvrir devant vous : il est des souvenirs qu'il ne vaut
mieux pas déballer tant ils font mal, tant ils sont sales,
tant ils sont moches…
"Je suis un passant souriant qui marche depuis la
nuit des temps vers la nuit du monde car tout est nuit et la vie
n'est qu'une guerre de la lumière perdue d'avance.
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