Prélude (suite)
"Je vais le monde, fier dans
mes oripeaux, derniers vestiges de ma splendeur d'antan, celle
que je me suis inventée, un soir estival, de tiède
limonade et de doux ennui. Je vais le monde dans le rythme d'une
horloge aux aiguilles folles, loin des carillons immuables qui
interdisent au temps de s'affranchir du joug de Greenwich. Je
vais le monde… J'ai pourtant perdu le nord un jour d'ivresse
en effeuillant la rose des vents, tourneuse de tête.
"Personne ne remarque un être aussi insignifiant
que moi. Cela me permet de remarquer tout le monde. Et je dis
que le monde est triste, madame, mademoiselle, monsieur. Le monde
s'endort… Le monde dort. Et nous allons le réveiller
!
"Auparavant, se présenter. Vous, c'est facile,
vous êtes le public. Mais moi ? Qui suis-je ? On peut voir
en moi un vagabond saltimbanque sans feu ni lieu qui, un beau
jour, au plafond bas d'une HLM a préféré
le plafond haut du ciel. Mais surtout, ne pas penser avec condescendance
qu'on ne vit pas lorsque l'on est un vulgum pecus. Je vis. Et
de plus, je vis de ma voix. Je la vends, marchandise éphémère
qui se dissout aux vents ou s'écrase dans le cérumen
des conduits auditifs pollués par les fadaises qui vont
bientôt avoir raison du bon goût si l'on n'y prend
garde.
"Graver ma voix sur un disque. Oui mais pour qui ?
Qui s'intéresse à la poésie brute, déclamée
brutement, sans majorettes ni musiquettes, sans paillettes ni
fanfarettes ?
"Alors je vends ma voix dans les théâtres,
dans les écoles, dans les cafés, dans les bordels,
au hasard de mes pas sans boussole. Elle peut tout faire ma voix.
Même que l'auteur la compare au chant du violoncelle. Et
même qu'il me prend pour un violoncelle, comme si j'étais
de bois et de cordes. Ces auteurs…
< Page précédente - Page suivante >