5/16
Voir photos sur cette époque et les lieux.
Le 3 septembre 1939, la France déclare la
guerre à l'Allemagne. J'ai alors vingt-quatre ans et je
me trouve à Paris où je suis des cours pour devenir
radio. Je loge chez un de mes oncles. A l'instar de milliers de
Français, je suis mobilisé.
Je suis appelé dans un régiment d'infanterie
motorisé, à Amiens : le 51e Régiment d'Infanterie.
Nous touchons nos paquetages et on nous envoie en Moselle, à
Saint-Avold. De Saint-Avold, notre compagnie est dirigée
sur Forbach puis sur Morsbach, à quelques kilomètres,
point frontière entre la France et l'Allemagne (voir carte).
La frontière est délimitée par un
petit ravin dans lequel passe une voie ferrée (voir carte d'état-major).
Le groupe auquel j'appartiens - qui se compose de 11 hommes :
un sergent, un caporal et neuf soldats - est affecté dans
une maison qui appartenait à un garde mobile en temps de
paix. Il s'agit d'une maison en béton armé ; les
portes intérieures et extérieures sont blindées
et sont munies d'oeilletons (pour voir ce qui se passe à
l'extérieur) et de meurtrières permettant de lancer
des grenades en cas de nécessité (voir deux photos de la maison).
Nous avons vue sur l'Allemagne. Nous observons les soldats
allemands jouer au football à quelques centaines de mètres
de nous. Tout est très calme. Nous sommes au mois d'octobre
1939.
Un jour, notre capitaine vient nous rendre visite. Il nous
passe un savon car nous faisons du feu. Il a vu sortir de la fumée
depuis la cheminée de la maison. Il nous explique alors
comment se chauffer en temps de guerre : à savoir mettre
les boulets de charbon dans le brasier un par un en attendant
à chaque fois que le boulet soit rouge avant d'en mettre
un autre. Cela empêche le dégagement de fumée
et cela évite donc de se faire repérer par l'ennemi
en signalant que la maison est habitée.
Nous surveillons les parages vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Le soir, nous nous barricadons. Le matin, nous faisons une sortie,
dans un périmètre d'une centaine de mètres
autour de la maison. Tout est calme. Un matin, nous repérons
des traces de pas dans la neige. Un groupe franc (commando de
l'armée affecté à des missions d'avant-garde)
allemand était venu rôder autour de la maison à
l'insu des veilleurs. A partir de ce jour, nos sorties du matin
se font sur le qui-vive.
A Noël, notre ordinaire est amélioré.
Nous festoyons gentiment : le soldat de garde sur la frontière
abandonne son poste et vient nous rejoindre pour boire un verre.
Tout à coup, nous entendons des coups violents dans la
porte. "Ouvrez ! Ouvrez !". Nous regardons par l'œilleton
et apercevons notre capitaine. Aussitôt, nous faisons sortir
le soldat de garde. Le capitaine nous interroge pour savoir si
nous n'avons pas vu un Allemand qui se dirigeait vers nous. Nous
répondons par la négative.
Nous apprenons par la suite qu'il s'agit d'un soldat français
parti chasser en Allemagne sans prévenir personne. A Morsbach,
il y avait un guetteur dans le clocher de l'église. Et
quand le chasseur est revenu, le guetteur a donné l'alerte.
Aussitôt, nous sommes tous sortis avec les mitrailleuses...
Cette fausse alerte a en partie gâché notre jour
de Noël. L'incident fut clos.
On voit fréquemment des groupes francs français
qui s'accrochent avec des groupes francs allemands. Chaque groupe
fait des incursions dans le pays ennemi et lorsqu'ils se rencontrent,
il y a des échanges de coups de feu. Mais autant que faire
se peut, ils évitent de se rencontrer.
Un jour, notre capitaine nous rend visite et nous demande
un fusil mitrailleur. Un groupe franc français est en train
de s'accrocher avec un commando allemand et un deuxième
groupe ennemi s'approche sur le côté. Nous demandons
à notre capitaine de l'accompagner mais il refuse. Ce capitaine
est un prêtre (qui, pour l'anecdote, jure comme un païen...).
Il part à la rencontre du deuxième groupe franc
ennemi et il empêche l'attaque des Français.
Au début de l'année 1940, nous sommes
relevés par des troupes méridionales. Nous redescendons
sur Saint-Avold. Les troupes méridionales, arrivées
depuis huit jours, ont été disséminées
par des groupes francs allemands (nous avons entendu les nombreux
échanges de tir). Nous passons donc à l'arrière
front (dix kilomètres à l'arrière), au repos
entre les lignes Maginot et Siegfried. Tous les jours, il y a
des tirs de grosses pièces entre les deux lignes, destinés
à la destruction respective des ouvrages bétonnés.
C'est éprouvant pour nous car toute la journée,
nous entendons le sifflement des gros obus. Notre seule consolation
est que nous ne sommes pas les destinataires directs de ces tirs.
Nous passons nos journées à jouer au football et
aux cartes, et à faire des glissades sur la neige (il fait
toujours froid !)...
Il fait si froid que le vin nous est distribué en
morceaux ! On couche dans les granges. Le froid est tel que je
vais avec un copain coucher dans une étable. Ça
pue terriblement mais au moins, grâce aux animaux, nous
avons chaud !
Tout le secteur a été évacué
de sa population civile. Mais il y a encore les bêtes et
les soldats s'en occupent. En passant, j'ai constaté que
beaucoup de villages ont été pillés, non
pas par les troupes allemandes car elles ne sont encore pas sur
le territoire national mais par les troupes françaises
! Nous continuons notre route vers l'arrière et nous nous
trouvons dans la Marne.