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Septembre 1939 - mars 1940 : l'attente

Voir photos sur cette époque et les lieux.

  Un extrait de cette page a été publié dans Paroles de l'ombre, p. 76

    Le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l'Allemagne. J'ai alors vingt-quatre ans et je me trouve à Paris où je suis des cours pour devenir radio. Je loge chez un de mes oncles. A l'instar de milliers de Français, je suis mobilisé.
  Je suis appelé dans un régiment d'infanterie motorisé, à Amiens : le 51e Régiment d'Infanterie. Nous touchons nos paquetages et on nous envoie en Moselle, à Saint-Avold. De Saint-Avold, notre compagnie est dirigée sur Forbach puis sur Morsbach, à quelques kilomètres, point frontière entre la France et l'Allemagne (voir carte).
  La frontière est délimitée par un petit ravin dans lequel passe une voie ferrée (voir carte d'état-major). Le groupe auquel j'appartiens - qui se compose de 11 hommes : un sergent, un caporal et neuf soldats - est affecté dans une maison qui appartenait à un garde mobile en temps de paix. Il s'agit d'une maison en béton armé ; les portes intérieures et extérieures sont blindées et sont munies d'oeilletons (pour voir ce qui se passe à l'extérieur) et de meurtrières permettant de lancer des grenades en cas de nécessité (voir deux photos de la maison).
  Nous avons vue sur l'Allemagne. Nous observons les soldats allemands jouer au football à quelques centaines de mètres de nous. Tout est très calme. Nous sommes au mois d'octobre 1939.
  Un jour, notre capitaine vient nous rendre visite. Il nous passe un savon car nous faisons du feu. Il a vu sortir de la fumée depuis la cheminée de la maison. Il nous explique alors comment se chauffer en temps de guerre : à savoir mettre les boulets de charbon dans le brasier un par un en attendant à chaque fois que le boulet soit rouge avant d'en mettre un autre. Cela empêche le dégagement de fumée et cela évite donc de se faire repérer par l'ennemi en signalant que la maison est habitée.
  Nous surveillons les parages vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le soir, nous nous barricadons. Le matin, nous faisons une sortie, dans un périmètre d'une centaine de mètres autour de la maison. Tout est calme. Un matin, nous repérons des traces de pas dans la neige. Un groupe franc (commando de l'armée affecté à des missions d'avant-garde) allemand était venu rôder autour de la maison à l'insu des veilleurs. A partir de ce jour, nos sorties du matin se font sur le qui-vive.
  A Noël, notre ordinaire est amélioré. Nous festoyons gentiment : le soldat de garde sur la frontière abandonne son poste et vient nous rejoindre pour boire un verre. Tout à coup, nous entendons des coups violents dans la porte. "Ouvrez ! Ouvrez !". Nous regardons par l'œilleton et apercevons notre capitaine. Aussitôt, nous faisons sortir le soldat de garde. Le capitaine nous interroge pour savoir si nous n'avons pas vu un Allemand qui se dirigeait vers nous. Nous répondons par la négative.
  Nous apprenons par la suite qu'il s'agit d'un soldat français parti chasser en Allemagne sans prévenir personne. A Morsbach, il y avait un guetteur dans le clocher de l'église. Et quand le chasseur est revenu, le guetteur a donné l'alerte. Aussitôt, nous sommes tous sortis avec les mitrailleuses... Cette fausse alerte a en partie gâché notre jour de Noël. L'incident fut clos.
  On voit fréquemment des groupes francs français qui s'accrochent avec des groupes francs allemands. Chaque groupe fait des incursions dans le pays ennemi et lorsqu'ils se rencontrent, il y a des échanges de coups de feu. Mais autant que faire se peut, ils évitent de se rencontrer.
  Un jour, notre capitaine nous rend visite et nous demande un fusil mitrailleur. Un groupe franc français est en train de s'accrocher avec un commando allemand et un deuxième groupe ennemi s'approche sur le côté. Nous demandons à notre capitaine de l'accompagner mais il refuse. Ce capitaine est un prêtre (qui, pour l'anecdote, jure comme un païen...). Il part à la rencontre du deuxième groupe franc ennemi et il empêche l'attaque des Français.

  Au début de l'année 1940, nous sommes relevés par des troupes méridionales. Nous redescendons sur Saint-Avold. Les troupes méridionales, arrivées depuis huit jours, ont été disséminées par des groupes francs allemands (nous avons entendu les nombreux échanges de tir). Nous passons donc à l'arrière front (dix kilomètres à l'arrière), au repos entre les lignes Maginot et Siegfried. Tous les jours, il y a des tirs de grosses pièces entre les deux lignes, destinés à la destruction respective des ouvrages bétonnés. C'est éprouvant pour nous car toute la journée, nous entendons le sifflement des gros obus. Notre seule consolation est que nous ne sommes pas les destinataires directs de ces tirs. Nous passons nos journées à jouer au football et aux cartes, et à faire des glissades sur la neige (il fait toujours froid !)...
  Il fait si froid que le vin nous est distribué en morceaux ! On couche dans les granges. Le froid est tel que je vais avec un copain coucher dans une étable. Ça pue terriblement mais au moins, grâce aux animaux, nous avons chaud !
  Tout le secteur a été évacué de sa population civile. Mais il y a encore les bêtes et les soldats s'en occupent. En passant, j'ai constaté que beaucoup de villages ont été pillés, non pas par les troupes allemandes car elles ne sont encore pas sur le territoire national mais par les troupes françaises ! Nous continuons notre route vers l'arrière et nous nous trouvons dans la Marne.

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